fidélité, adultère, infidélité? conjugalité?

fidélité, adultère, infidélité? conjugalité?

La recherche des définitions peut conduire à quelques éclaircissements. Rappelons que la fidélité vient du mot « fides » qui veut dire avoir foi, c’est dire que chacun dans le couple accorde à l’autre sa confiance et c’est la réciprocité de cette confiance qui fait l’attachement de l’un à l’autre. L’élément important de cette confiance est un vœu qui peut rester tacite et dont on ne peut s’affranchir, même délibérément (sauf accord mutuel), sans difficulté pour l’autre : celui de l’exclusivité sexuelle. Ainsi il existe un certain niveau d’intimité réservée au couple seul et à ne partager avec personne d’autre. Une personne fidèle est celle qui manifeste de la constance dans son attachement, ses relations. Elle n’a des relations amoureuses qu’avec son compagnon et ne s’écarte pas du modèle exact à  suivre. La confiance vient aussi de la même racine : sentiment de sécurité d’une personne qui se fie à quelqu’un ou quelque chose. Etre en toute confiance c’est être sans crainte d’être trompé. Faire confiance à quelqu’un, c’est se fier à lui.

 En termes de liberté individuelle, d’authenticité personnelle, la fidélité a besoin d’être redéfinie. Elle ne se résume pas à une promesse d’exclusivité sexuelle, elle devient une inscription dans le temps : je suis fidèle à notre passé, à ce que tu es, à ce que nous avons vécu ensemble. Elle exclut la tromperie, le mensonge, le reniement, l’oubli ou l’effacement de ce qui a été. Elle s’engage non pas seulement dans l’espace, mais aussi dans le temps. En ce sens nous pouvons rester fidèles à nos amours passées. Nous vivons de sécurité affective et d’attachement mais aussi de surprise et de créativité. Pour nous construire dans le temps, nous avons besoin de fidélité, puisque nous sommes le sujet actif d’une histoire qui à la fois évolue et prend sens. Si la fidélité a été utilisée pour la femme dans un sens d’aliénation au projet social global de l’ordre de la famille, aujourd’hui nous pouvons en sortir et donner un sens nouveau avec le projet croisé d’émergence à soi-même et de révélation de la fonction d’amour.

 Être infidèle, pour les dictionnaires, c’est manquer à ses engagements envers quelqu’un. Il y a donc infidélité lorsque l’un des deux partenaires continue de croire que le contrat de fidélité reste en vigueur alors que l’autre le viole explicitement ou en secret. L’adjectif exclusif employé pour caractériser une relation fidèle rappelle que toute relation intime comporte des sentiments, des expériences communes qui n’appartiennent qu’aux deux partenaires.

 L’infidélité se manifeste sans discontinuer dans la société, mais il est toujours difficile de la quantifier et surtout ses manifestations ont évolué. Ni le concubinage, ni le divorce n’ont résolu la question de l’adultère : les trahisons sont toujours présentes. L’adultère pourrait ainsi apparaître comme un indicateur d’une usure conjugale, mais est-ce le couple qui est usé, le lien ou l’institution même du mariage ? Actuellement ce sont plus de 50 % des enfants[1] qui naissent hors mariage, l’alliance n’est plus éternelle et il y a beaucoup moins de culpabilité à vivre l’infidélité. Aujourd’hui, être adultère est présenté comme la volonté de vivre plus intensément sa passion, et la possibilité d’avoir plusieurs vies : d’une part une expérience familiale qui donne sécurité et d’autre part l’expérience du risque avec de la fantaisie dans une aventure extraconjugale.

 L’infidélité garde mauvaise presse dans une époque où les valeurs d’authenticité et de « transparence » gagnent du terrain. L’exigence de l’amour ne saurait s’accompagner désormais de mensonge. L’infidélité mêle toutefois à une transgression des interdits un goût de nomadisme et de liberté. L’infidélité conjugale n’a de sens que relativement à la monogamie et l’exclusivité sexuelle. Or si la fidélité est d’abord de l’ordre du cœur, elle inclut ou non une exclusivité sexuelle. Le désir, le plaisir, l’amour sont parfois associés et parfois dissociés : La fidélité change de sens : je suis fidèle à moi-même et  je suis simultanément (in)fidèle à mon amour pour toi. 

Si adultère signifie étymologiquement altération, c’est qu’il désigne un comportement déviant, perçu comme un double danger, celui de l’ébranlement de l’ordre social et celui du « sacrilège » que s’efforce de régler autant l’Eglise que l’État. En effet être adultère, c’est transgresser les normes.  En fait, dans ce schéma, l’adultère fonctionne comme une soupape de sécurité et peut donc être toléré comme régulateur social permettant à un plus grand nombre de rester dans la norme quand une minorité s’autorise des incartades (sachant qu’il ne peut s’exercer s’il ne trouve pas la disponibilité de partenaires). Il a donc été permis chez les bourgeois afin de soulager les pulsions sexuelles masculines et de réguler l’hygiène sexuelle.

 En tant que violation du devoir de fidélité lié au mariage, l’adultère n’existe pas en ce sens dans les relations de couple sans mariage officiel. La violation du devoir de fidélité dans les unions libres ou dans les PACS est désignée généralement par le nom d’infidélité.  L’adultère peut alors être écartelé entre répression et dérision. En effet une certaine distance est souvent prise par rapport à  l’acte à travers des mots péjoratifs qui désignent « la faute » et « le fautif » et qui permettent d’introduire de l’ironie ou de l’humour, tel l’« être cocu », sujet des pièces de théâtre de vaudeville. Sur le plan juridique en revanche, cette situation a aujourd’hui  beaucoup moins de poids ; en effet le divorce pour faute n’existe plus, même si l’adultère peut être invoqué à un moment donné aux torts du conjoint infidèle.

 La notion d’adultère est souvent connotée de jugements de valeur.  C’est un comportement qui se dérobe au regard, qui est caché, souvent réprimé, qui suscite des peurs au sein des familles. Pourtant l’adultère a toujours fait partie de l’histoire dans toutes les couches sociales, même s’il a été très peu étudié sociologiquement. C’est davantage d’un point de vue psychologique, au regard des conséquences émotionnelles et relationnelles, que cette question a été approfondie. Du livre D’Agnès Walsch [2], on peut conclure que sur le plan juridique, l’adultère se définit comme le fait, pour une personne mariée, d’avoir des rapports sexuels avec quelqu’un d’autre que son conjoint. Ce mot évoque donc la trahison, la tromperie, le mensonge, le double jeu ou double vie, la duperie, la falsification, la cassure, le libertinage, la déviance. Ce vocabulaire du jugement est inséparable de la morale sexuelle d’origine sociale ou religieuse très présente dans notre culture judéo-chrétienne. Aussi le mot a-t-il été désormais remplacé, dans le cadre des relations conjugales ou maritales sans engagement civil, par infidélité, relations extraconjugales ou multipartenaires et libertinage.

La conjugalité est l’état d’une vie conjugale : être conjoint  c’est conjuguer, joindre ensemble, faire les efforts ensemble pour un résultat projeté, être unis par la même obligation. Chacun des époux est donc considéré comme situé par rapport à l’autre.

L’infidélité va provoquer une crise à la fois conjugale et personnelle. Le lien qui unit les époux au regard de la loi ou de la religion, lien conjugal, union entre un mari et une femme, s’effrite. Changement subi, favorable ou défavorable, la crise est une période souvent décisive et périlleuse de l’existence. Le monogramme chinois qui signifie le mot crise signifie aussi bien risque que chance. Cette crise peut entraîner une séparation. Séparer c’est mettre à part, éloigner des choses, éloigner l’une de l’autre les personnes qui étaient ensemble. Cela conduit à cesser la vie commune voire même d’être en relation avec, à se quitter, s’éloigner. Cela peut donc entraîner la désunion du couple.

 L’adultère peut jouer un rôle de thérapie pour le couple initial ou bien créer des conditions d’épanouissement d’un attachement sentimental nouveau qui pourrait constituer une seconde cellule familiale.

La fidélité amoureuse est la conséquence d’un choix, la manifestation d’un désir focalisé. Pour que « je devienne unique c’est dans la relation que je construis cette identité, et il faut que je désigne alors un autre être comme un vis-à-vis unique ». C’est lui tout entier, son visage, son attitude, sa sensualité, sa relation au monde, qui me procure un élan sans commune mesure et qui fait dire : « je t’ai dans la peau ». Ce sentiment de fusion est la première forme de la relation amoureuse. Le désir sexuel guide dans un langage conscient et inconscient les deux personnes qui se devinent, se ressentent, se pressentent et se révèlent l’une à l’autre. Il existe un besoin instinctif de se rejoindre pour vivre le désir, l’extase, le plaisir. Cette inclinaison puissante est fondatrice d’un comportement orienté vers la fidélité car les autres alors n’existent plus face à l’intensité de cette combustion interne. La vie trouve sens dans la force de ce désir et l’espoir de l’amour à construire sur cette illusion fusionnelle et fugitive. Cette intensité amoureuse nous permet de dépasser toutes les contradictions et même la peur de l’abandon et de la mort, de garder un regard positif et l’espoir en la vie éclairée par le nom d’amour. La relation amoureuse se développe dans la perspective de prolonger et répéter le plaisir rencontré. La sécurité, la confiance s’épanouissent dans l’attachement et nous avons besoin de cette ressource pour notre croissance avec une forte aspiration à les préserver avec la même personne.

 La fidélité ne saurait donc obéir seulement au langage instinctif de reproduction. Elle est une mesure de défense contre l’enfermement, une déchirure de la trame de l’existant et une recherche affective pour les deux partenaires. Nous sommes des êtres de manque. Et le couple ne change rien à cette situation ontologique fondamentale. On considère souvent que l’intervention d’un tiers dans le couple correspond à un manque, car il est bien improbable qu’un seul être puisse  tout nous apporter tandis que nous évoluons tout au long de notre vie. Nous sommes dans la construction de nous-mêmes et notre image peut rester longtemps floue. Parfois des rencontres peuvent être plus décisives que d’autres pour nous aider à clarifier et construire cette image.

L’engouement est souvent le sentiment caractéristique des liaisons extraconjugales. Cette vie amoureuse en raison du secret enferme les deux complices dans un univers à part. Ils sont vite victimes de leurs propres illusions, ne voyant l’objet de leur désir que tels qu’ils veulent bien le voir, et non tel qu’il est réellement. Cet éloignement du réel permet de faire quelque peu durer une relation basée sur le plaisir.


[1] Sources : INSEE, estimation de la population et statistiques de l’état civil.

[2] Référence : « l’histoire de l’adultère » p.13

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