Le désir
Deux êtres ne peuvent entretenir un haut potentiel de désir que dans la mesure où ils restent libres l’un vis-à-vis de l’autre. Le désir « créée l’amour » dans la mesure même où le désir est non satisfait ou peu satisfait par l’absence ou le manque. L’amour peut nourrir le désir à son tour chez des êtres libres et engagés, solidaires dans leur solitude et vice-versa. Ce désir qui s’alimente de l’intimité et de la confiance suppose des relations de coopération et aujourd’hui, avec la mutation des couples et la montée de l’individualisme, nous ne sommes qu’à l’aube de cette découverte. Les femmes en effet désirent aujourd’hui au-delà de la simple jouissance, elles désirent une extase en allant ressentir cette joie au plus profond d’elle-même.
Redécouvrir le désir à la recherche de la satisfaction du plaisir passe par les cinq sens : un bon repas, une ballade en forêt… Il y a les manifestations du désir, l’attirance, l’exaltation, la séduction, la conquête, puis le cycle recommence. Mais demeure aussi ce désir de pouvoir, d’être dans la conquête à travers sa libido, au point de faire de son corps un instrument docile pour servir un but précis. Ainsi le pouvoir intellectuel ou spirituel peut amener un désir très puissant, et les femmes inconsciemment recherchent cela chez les hommes
Il arrive un moment où les deux partenaires sont confrontés à cette mutation du désir et confondent parfois usure et transformation. Les amants fiévreux, devenus plus amis, plus fraternels, se désirent différemment et cela crée un temps d’incertitude. C’est un passage qui a de l’importance puisqu’il peut se renouveler plusieurs fois dans une vie. Alors comment aider le couple à se préparer à un nouveau désir ? L’érotisme du cœur est ce mouvement du cœur à cœur qui inspire une manière de s’approcher plus vibratoire – ce n’est pas le physique seulement qui jouit, ce sont le cœur et l’âme. L’amour devient éveil. Le désir d’éveil conduit la rencontre dans l’approfondissement de l’intimité. Ainsi la confiance est-elle le seul passage que doit faire un couple qui souhaite vivre la résilience, pour entrer dans un autre monde ou une autre perception de son monde.
Le désir contient la double promesse de se trouver et de se perdre :
– Chacun aime ressentir du désir pour l’autre, créativité, moteur qui rend l’atmosphère très vibrante. Pour d’autres, le désir peut être lourd et prédateur comme les hommes qui déshabillent une fille du regard. D’autres peuvent être fermés au désir par conviction ou n’osent pas désirer ou n’accueillent pas le désir qu’ils inspirent.
– J’ai du désir pour qui je suis. Cela va du plaisir qu’on a à se regarder dans la glace, avec l’acceptation de soi tel que l’on est physiquement et psychologiquement, l’attention et le soin que l’on se porte, au plaisir que l’on a dans ses sensations et la conscience que l’on a de son féminin, de son masculin.
– Dernier pilier qui est plus spirituel, le désir global de vivre qui emmène vers une identification avec tout ce qui existe, un enivrement, une vitalité amoureuse qu’on appelle la joie de vivre.
Le désir peut être pris dans son aspect non civilisé de consommation, possession-destruction : «j’ai envie, je te prends, je te jette ». L’autre est objectivé et non plus sujet de désir. Cela peut aller jusqu’à l’absorption, le cannibalisme, voire le meurtre et la castration de l’autre même sur le plan sexuel. A l’inverse, l’absolu du désir peut devenir le spirituel, exiger la chasteté comme pleine conscience de soi, de l’autre, dans le dialogue et le respect, en parvenant à la maîtrise de soi (sa respiration, son éjaculation…). Le désir conduit à se livrer et en même temps rend possessif, accapare, englobe, c’est pourquoi il a longtemps été un objet d’interdits et de refoulements.
Le désir est un oui à la vie, et ce désir de vivre avec sa profondeur se construit dans l’enfance, au risque, sinon, de devoir l’apprendre à l’âge adulte. Le désir est paradoxal : en incorporant ce que je désire je perds aussi le désir. Dans la relation sexuelle et humaine après l’extase il y a le repos, lequel peut entraîner des frustrations importantes et trompeuses. L’exaltation passée il y a comme un désenchantement. Alors comment faire durer le désir ? Souvent certains iront de relations en relations de courte durée afin de revivre cette phase « lune de miel » où tout paraît excitant et bon et sans lendemain.
L’érotisme est une sensibilité et une culture qui naît du désir de se rapprocher de l’autre, de le toucher, le sentir. Les signaux comme les aréoles des seins, le sourire, la dilatation des pupilles (mydrias), les odeurs auxillaires, sont déclencheurs du désir. Les caresses, le face-à-face dans les yeux, permettent l’expression et le partage d’un plaisir. Il peut y avoir un désir fusionnel, un désir dans un rapport de forces dominant-dominé et un désir dans le jeu cruel du conflit. Ces manifestations du désir ont en commun de conduire à l’anéantissement de l’un des deux partenaires.
Doublé de conscience, le désir peut prendre des formes plus raffinées, tenter de durer, de se multiplier et s’esthétiser – désir de l’homme pour la femme, et réciproquement, dans l’étonnement renouvelé de la différence, désir de deux êtres face-à-face qui se reconnaissent et se regardent dans les yeux de personne à personne, dans l’envie de lenteur, de profondeur, de durée d’éternité. C’est ce qu’on découvert ensemble Axelle et son mari, elle avait besoin de sentir désirée, il a appris la sensualité et elle s’est sentie aimée pour sa féminité, la développant davantage encore. L’érotisme est devenu un nouveau langage pour eux.
Mais aussi, désir sauvage, enfiévré, pour s’unir au désir de peau et au désir d’âme. L’ambiguïté naît parfois du narcissisme, de la rivalité dans l’attention de la différence, avec l’enjeu d’être à sa place sans jamais disparaître. En arrière-fond demeurent les jeux d’attraction des complémentaires, ainsi que le miroir du même qui permet de se fondre sans se perdre, autant de postulations qui peuvent être recherchées dans une relation extraconjugale. Le désir demande le risque de la liberté. Il semble qu’il s’alimente dans notre partie prédatrice de ce qui nous manque et ce qui nous échappe. La distance est importante dans l’amour romantique et la beauté du désir conscient, c’est qu’il accepte d’être inaccessible. Tous les enlacements, toutes les étreintes ne peuvent étancher une soif du « tout à la fois », satisfaire en permanence et soi et l’autre. Cet état d’être s’alimente non plus de distance mais de confiance profonde.
Alors comment garder le désir vivant ?
- D’abord par le respect. Respecter l’autre dans cette relation c’est la voie pour reconnaitre sa valeur. Mais aussi respecter, en latin, c’est regarder à deux fois, avec les yeux et avec le cœur, c’est désirer l’autre pour tout ce qu’il est.
- Ensuite en s’accordant le droit de rester sexué au quotidien dans sa féminité et dans sa masculinité, dans son environnement et dans son travail, dans tous les milieux professionnels, de loisirs, amicaux, où les gens s’observent, se parlent, s’apprécient, se plaisent, se côtoient. Le désir n’est pas limité et fixé sur une personne exclusive, il s’entretient toujours et partout. Il est visible – une personne ouverte à la relation se sent de très loin et attire les regards.
- En travaillant sa sensualité et la laisser s’exprimer ce qui demande un lâcher prise et de la confiance en soi.
Retrouver le désir repose sur quatre piliers[1]: Je suis désiré, je désire, je me désire, je suis désir. Chacun, quand il est désiré et valorisé, se sent plus vivant. Ce sont les femmes qui désirent le plus être désirées, mais les hommes se sont aussi mis en mouvement. Le désir ne tient compte que de l’instant et l’amour de la durée. Sainte folie du désir. En effet le désir est mêlé : il revendique la fusion, l’unité, il a envie de prendre, d’envahir, d’assujettir, de contrôler, de posséder, de manipuler, de jouir. Volonté de puissance, d’avoir pouvoir sur l’autre, de le dévorer. Autant de choses qui ont pu éloigner les conjoints et/ou provoquer l’attrait vers une autre personne et qui peuvent aider aux retrouvailles.
Ainsi, le fait de regarder autour de soi permet de sortir de l’enfermement du couple. En effet, lorsqu’un homme s’autorise à réagir devant les femmes, les images de femmes, son instinct le guide, son désir au sens générique de désir de vivre le pousse à s’alimenter, à s’enrichir, à grandir, et dans l’intimité il disposera d’un « capital désir » beaucoup plus important que s’il était toujours dans le renoncement ou dans une carapace lui interdisant de porter son regard. Le désir vivant demande de ne pas s’enfermer dans une pensée ou un raisonnement « mono », mais de s’ouvrir à une pensée « poly » ; Je n’appartiens à personne sinon à moi-même, je ne trompe personne, je suis à l’écoute de ce qui est important pour moi. Cette femme me fait quelque chose, je ne ferme pas la porte à ce ressenti, je me donne les moyens d’éprouver ce plaisir, mais je prends d’ailleurs aussi le risque d’être déçu. Je n’ai pas forcément à vivre des relations sexuelles, mais le plaisir d’un contact intérieur au moment où nous sommes là en co-présence suffit. Le désir qui me porte vers l’autre est parfois une illusion, car ce que je cherche n’est jamais réellement chez lui. Ainsi des regards, des attitudes échangés peuvent être trompeurs.
Le désir est une source, mais on peut obstruer la source avec des pierres aussi longtemps qu’on ne prend pas conscience de ce besoin vital (différence entre besoin qui peut être satisfait par son objet et désir qui par essence est en dépassement de son objet – cf. le très beau et très juste livre Le temps du désir, de Denis Vasse, Le Seuil). S’autoriser à désirer, c’est ouvrir une voie d’accès à la nourriture, dépassionner le sexe et s’extraire parfois de son emprise. Eros n’est pas seulement sexuel mais sensuel Ainsi redécouvrir, vivre sa sensualité au contact des autres n’est pas une ouverture à la débauche, mais une réalisation de soi dans son corps, dans son être. C’est un désir de rejoindre cet état d’unité dans la relation sexuelle entre un homme et une femme. L’appétit sexuel est un appel ferme. En le reconnaissant on se donne la possibilité de l’intégrer, le goûter et le partager. Cultiver en soi une circulation d’énergie par la respiration, la manière d’habiter son corps et de se sentir subtilement en mouvement va permettre d’entrer pleinement en contact avec l’autre. Nous voulons aimer quand nous rencontrons quelqu’un. La personne désirante est d’abord une personne en amour avec elle-même dans sa sensualité.
Plus une personne est solitaire, plus il est important qu’elle s’autorise le désir. Il se dit dans des silences, des regards, des rires, dans le plaisir à se voir, se toucher, s’entendre… L’érotisme est présent déjà là. Pour que le corps s’émeuve, le désir s’accompagne aussi d’une retenue dans l’attente. Il n’y a rien de plus ardent que deux êtres conscients de leur désir face à face, de vivre et partager le sexe désirant, le cœur désirant, l’esprit désirant. Les baisers, les caresses sont un ballet mis en scène vers l’indicible. L’amour devient sublime parce que je me souviens de la nature vaste et intérieure et je peux l’extérioriser, « donner de moi et recevoir ce qui vient de toi ». L’amour porté à son incandescence entre dans la dimension du sacré. Ceux qui s’alimentent ainsi vont vers cette spiritualité de l’échange et la subtilité du partage corporel. Ils sont doués de la capacité à s’émerveiller, à goûter une grande joie. Le grand désir est une voie spirituelle parce qu’il est ouvert sur l’autre et pas seulement sur soi.
Ce qui sclérose le désir c’est l’enfermement, l’étouffement ou le repliement sur soi. Ce qui le stimule c’est le développement de la créativité, l’imagination amoureuse. J’ai du plaisir à incarner ma douceur et la délicatesse intérieure. Le désir est cultivé et le plaisir différé. Les préliminaires ne sont plus vécus comme une période frustrante ou d’attente inutile, mais comme des moments de plénitude. Cette victoire sur ce que le désir porte en lui de cannibale est possible grâce à l’échange de plaisir. Le raffinement des caresses décuple le plaisir et laisse s’installer une intimité. Le désir n’est pas refoulé, mais attisé et affiné.
Le désir est un maître et une chance, une illusion et une totale réalité – « J’ai du désir pour toi qui au lieu de me vider me remplit ». Ainsi le couple qui retrouve ce désir authentique à travers un nouveau rituel et une érotisation de la relation au quotidien pourra mieux prendre le chemin de la résilience après une infidélité.
Le couple se pose la question : comment passer du besoin de distance pour cultiver le désir au besoin de confiance pour qu’il se développe ? Entre ces deux besoins contradictoires se situe pour l’être une évolution qui peut demander un changement de paradigme. Le couple mett en place des mythes et rituels de sorte que sa « cellule » ait sa propre identité intime tout en étant en relation avec l’extérieur.
Pour entretenir le désir et pouvoir exister dans une unité, il faut que le couple sache préserver l’individualité de chacun, et il est donc important de porter attention à la manière dont la vie en commun s’organise dans la maison. Il s’agit bien sûr de question de moyens mais aussi d’imaginaire. Traditionnellement, la femme investit l’intérieur et l’homme l’extérieur. Mais aujourd’hui, avec l’investissement professionnel des deux, ces habitudes changent. Savoir s’isoler devient une difficulté par rapport à la vie de famille, les loisirs, le temps qui passe vite ou la peur de s’affirmer ou de perdre l’autre. Au début d’une relation chacun pense en effet davantage à la manière dont il continuera de nourrir ses habitudes de célibataire qui lui laissaient de la liberté, tout en mettant en priorité la relation avec l’autre. Penser à cette manière de prendre soin de soi n’est pas un égoïsme, mais une sagesse qui peut permettre d’être plus en respect de soi et de l’autre dans la relation. Ainsi en est-il de la capacité à se retrouver seul pour dormir, seule pour prendre un plaisir… seuls sans se sentir en insécurité ou dépendant d’un autre lorsqu’il est absent. Quel que soit l’espace dont chacun a besoin, il est certain que le processus créatif demande de la concentration, du calme, de la solitude, du temps pour soi.
[1] Paule Salomon